Ce jeudi 14 juillet 2022, en Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara reçoit ses prédécesseurs Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Cette rencontre avait été évoquée durant le dialogue politique organisé en début d’année. Elle doit servir à faire avancer la réconciliation après les crises de 2010-2011 puis 2020, mais également préparer les prochains scrutins de 2023 jusqu’à la présidentielle de 2025.
La dernière entrevue des « trois grands », comme certains les appellent, c’était il y a plus de dix ans. C’était avant le premier tour de la présidentielle 2010. Ce nouveau mini-sommet entre Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié reste néanmoins « un classique » pour l’historien et enseignant Arthur Banga. Il explique que ce genre de réunions :
« Ça a toujours eu lieu en Côte d’Ivoire, souvenez-vous à la fin des années 1980 déjà, la célèbre rencontre Laurent Gbagbo et Félix Houphouët-Boigny. Et puis tout au long de la crise, d’abord les sommets des quatre grands, quand Robert Gueï était vivant. Ensuite Ouattara, Bédié, Gbagbo se rencontraient souvent autour des accords. Ce sont des rencontres qu’on a souvent dans les périodes de tension, qui pour certaines débouchent sur l’accélération du processus de paix, mais qui n’ont pas empêché quand même le pays de sombrer », détaille Arthur Banga.
Trois leaders omniprésents
Au menu des discussions, les prisonniers « politiques », arrêtés durant les crises électorales de 2010-2011 et 2020. Mais aussi l’environnement des élections locales de 2023 et présidentielle de 2025.
Pour Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste, ce dernier scrutin et son déroulement reste l’échéance la plus cruciale. Selon lui, les trois hommes sont « omniprésents ».
Ils font et défont la météo politique ivoirienne. La question de la fracture politique tourne autour de la question de l’accession au pouvoir. Toutes les crises ivoiriennes partent de l’élection présidentielle. Ces trois personnalités doivent donc s’entendre sur le cadre. Est-ce qu’elles seront candidates ? Est-ce qu’il y a lieu de revoir le code électoral et la Constitution, mais surtout voir le cadre institutionnel, avec la Commission électorale ? Cet organe doit-il être entre les mains des partis politiques, ou revenir exclusivement à la société civile ? Et la question de l’arbitre du jeu électoral, c’est-à-dire le Conseil constitutionnel. Est-ce qu’il faut redéfinir la composition, permettre une plus grande neutralité de cette institution ? Ce sont des questions inaugurales que devraient traiter les trois personnalités politiques.
Faire la vérité
Mais certains craignent que cette sorte de sommet entre les trois piliers de la vie politique ivoirienne ne soit justement trop politique et n’aborde finalement pas certaines questions pourtant fondamentales pour une réconciliation durable. « Le talon d’Achille de la Côte d’Ivoire post-crise, c’est de n’avoir pas fait la vérité. Il y a eu une justice qui s’est déroulée sous un angle un peu partial, et elle n’a pas traité jusqu’au fond toutes les responsabilités. Et nous avons bien peur que si effectivement cette question n’a pas été traitée, et que nous passons rapidement à une sorte de pardon politique sans explication, cela risque de fournir les graines d’une prochaine instabilité », prévient Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal à l’Institut d’études en sécurité.
Alassane Ouattara a 80 ans, Laurent Gbagbo 77, Henri Konan Bédié, 88. Pour Fahiraman Rodrigue Kone, les trois hommes « pèsent fortement sur le destin politique du pays, sur l’arène politique, mais il y a lieu pour eux de prendre un engagement fort quant à la construction de l’avenir. Un renouvellement de l’élite de la classe politique devrait être l’un des plus grands soucis, de sorte à léguer une Côte d’Ivoire moins conflictuelle. Cette rencontre devrait se mettre sous le signe de la sagesse. Celle de pouvoir transmettre le flambeau pour porter la Côte d’Ivoire de sorte à l’éloigner véritablement de la zone de turbulence qu’elle a connu ces 20 dernières années. »
On ne sait pas si les trois hommes iront jusque-là. Mais la rencontre se déroule dans un contexte favorable, avec un climat politique plutôt apaisé. Selon le gouvernement, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se parlent régulièrement au téléphone: le pouvoir a fait un signe d’ouverture en proposant un nouveau siège pour l’opposition à la Commission électorale. Nous sommes donc dans une ambiance politique qui pourrait permettre que les trois s’accordent au moins sur certains points.
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