Notre pays vit un cycle ininterrompu de crises. Malheureusement nous n’avons aucune conscience de nos crises : morales, politiques, spirituelles, sociales, etc. Pourquoi reviennent-elles toujours et toujours ? Amnésiques, nous ne posons jamais des questions. Nos goûts prononcés par le raccourci de la facilité nous empêchent de nous interroger. Constamment, nous semblons avoir les réponses à tous nos maux alors que ces réponses ne conviennent à rien. Nous avons des réponses aux questions que n’avons pas posées.
Le 5 septembre 2021, un pouvoir a été renversé. La classe politique dans sa majorité en a exulté car un adversaire avait été défait non pas dans les urnes mais par les armes. Certains acteurs avaient alors trouvé dans cette tragique situation une opportunité de réaliser leur rêve : devenir président après avoir été grand fonctionnaire de l’Etat. Pourtant, un coup d’Etat est toujours une mauvaise réponse à un vrai problème, ou de vrais problèmes l’ayant provoqué ou le justifiant. Lorsqu’il intervient, il doit permettre la césure, l’introspection, la réflexion et appelle des actions courageuses pour réparer les manquements en lien avec le fonctionnement des institutions.
Au lendemain du 5 septembre 2021, notre classe politique s’est refusé la réflexion. Quand elle a été conviée aux consultations inclusives lancées au palais du peuple le 14 septembre par le Colonel Mamadi Doumbouya alors Président du CNRD, ceux à qui la parole avait été donnée s’étaient plaints d’Alpha Condé, de la famine, du manque d’emploi, de l’insalubrité, du manque d’eau ; certains avaient loué celui dont la bravoure mit fin au pouvoir de leur ennemi juré. Pourtant, ils avaient été appelés au compromis fort. C’est à travers ce manque de vigilance et cette compromission que la classe politique a créé la situation qui plus tard devait lui casser la face. Elle a reporté la résolution des questions qui devaient être posées ce jour et en plein jour. Mais ils redoutaient tellement des défiances empressées, qu’ils ont jugé bon de s’attirer les faveurs du Président qui s’imposait à tout le monde. S’ils eussent eu la clairvoyance, ils eussent interrogé le contenu de la transition, sa durée et même les concepts nouveaux que le CNRD vint les y proposer : refondation, rectification institutionnelle, etc. La naïveté paie toujours en politique ! La mauvaise foi est plus coûteuse ! La haine de l’autre rend myope !
Maintenant que des mois sont passés, que le CNRD a engagé certaines actions dont il faut saluer les principes qui les guident : récupération des biens de l’Etat, lutte contre la corruption, etc., alors on sort l’antienne qui est : « cette transition est celle de la dévolution du pouvoir ». C’est ainsi qu’ils l’entendaient dès le début alors pour le CNRD, mais ils n’ont pas osé le dire. Que craignaient-ils ? Des bourrades ? La haine contre Alpha Condé les aveuglait. La haine de l’autre est inhérente à la politique guinéenne, les valeurs et les principes proclamés ne sont pas défendus. Quand l’arbitraire touche un adversaire, le politique guinéen exulte ; quand il vient à lui, il plaint l’injustice.
Voilà bien comment est née la divergence à laquelle le FNDC et ses alliés donnent de mauvaises réponses. Leurs imprudences nous ont conduits là et leurs obsessions de survie pourraient nous conduire dans une situation bien triste. Celle qui nous vivons, comparée à celle d’avant, n’est ni pire ni mieux ; elle est différente. Seule la démocratie répond aux besoins de l’ordre et de la liberté.
La charte de la Transition dit que le CNRD et les forces vivent doivent de commun accord fixer la durée de la transition ; cela suppose que les deux entités « CNRD » et « forces vives » dialoguent aussi bien sur le contenu de la transition que sur sa durée. Le format du dialogue et le mandat du dialogue doivent alors être clairs, définis de commun accord. Le FNDC s’est dit favorable au dialogue, mais a appelé à manifester contre le CNRD au moment où la CEDEAO dépêchait son médiateur en Guinée. Quelle opinion devrait-il se faire d’une entité qui s’était adjugé les dividendes de la lutte contre le 3ème mandat, qui se prend pour « les forces vives », qui veut imposer le dialogue à coups de chantages ? Le recours à la défiance ne doit prévaloir qu’en cas de rupture de la confiance et de l’échec de l’initiative du dialogue. Mais on dit vouloir le dialogue et la paix, mais on appelle à la défiance !
Je ne cesserai jamais de le dire, la transition qui s’est imposée à nous le 5 septembre passée est l’occasion de régler certains manquements de nos institutions et de les consolider. Si elle aboutit promptement aux élections, sans que nous ayons adressé certains de nos problèmes sérieux, nous aurions perdu le temps à notre pays qui est à la recherche du temps qu’il a perdu.
Je ne répondrai pas à l’appel à la mobilisation lancé par le FNDC et ses alliés, parce qu’ils ne mobiliseront pas eux-mêmes, c’est qui traduit une certaine forme de lâcheté de leur part. Aussi parce qu’une telle manifestation n’est ni citoyenne, ni pacifique. Comment devrait-on appeler une manifestation qui viole la loi ?
Nos législations sont claires sur le droit de manifester. La charte de la transition le consacre et encadre sans exercice (en son article 8). La même charte dispose que le respect des lois et règlements est un devoir impératif pour chaque citoyen. Une manifestation pour qu’elle soit légale doit obligatoirement être déclarée, mais la déclaration d’une manifestation n’enclenche pas son autorisation. Ce n’est pas un jeu de mots ! En effet, ce n’est pas parce qu’on a déclaré une manifestation qu’elle est autorisée. Les autorités qui exercent le pouvoir de police peuvent l’interdire dans les limites prescrites par la loi. Si les raisons alléguées par les autorités exerçant le pouvoir de police pour interdire une manifestation violent, du point de vue des organisateurs, la loi ; alors ils doivent attaquer la décision au tribunal de première instance.
Lorsqu’on n’a pas déclaré une manifestation, lorsqu’on appelle à une mobilisation contre les autorités dont on a salué la prise de pouvoir, on fait appel à l’insurrection et aux attroupements. Les attroupements sont aussi interdits par la loi. Ils appellent des manifestants incontrôlables, brutaux et, dans notre cas biberonnés à la haine des forces de défense. Dans ces cas, la loi exige la proportionnalité des moyens employés pour contenir leurs violences de contestation. Une violence de contestation appelle une violence de répression.
C’est vrai que dans notre pays, le droit conféré aux autorités pour interdire les manifestations est très large ; pour autant, nous ne pouvons pas le restreindre par la rue .Mais nous pouvons faire de cette transition l’occasion de changer cet état de fait en participant aux instances délibératives. L’erreur de ceux qui croient à la violence comme la panacée est qu’ils désirent substituer à un ordre établi un autre auquel ils n’ont pas réfléchi. Ce dernier sera-t-il plus pacifique ? Plus respectueux de la démocratie ? Plus respectueux des droits de l’homme ? Ils n’y réfléchissent pas à ces questions, ils sont obsédés par la radicalité qui dénote d’une force feinte. Or chaque fois que l’on donne dans la diabolisation, on perd ! Le FNDC et ses alliés feraient mieux de faire des concessions nécessaires à la constitution du cadre du dialogue qu’ils désirent. Je suis au regret de le dire : « La mobilisation à laquelle ils appellent est d’une efficacité éprouvée, elle n’y pourra rien. »
Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen