Samedi 12 juin, c’est la Journée mondiale contre le travail des enfants, journée organisée sous l’égide des Nations unies. Il y a trois jours l’Unicef et l’Organisation internationale du travail pointaient dans un rapport l’augmentation du nombre d’enfants contraints de travailler dans le monde à cause des effets de la pandémie. Les ONG de défense des droits des enfants alertent sur les conséquences physiques, sanitaires et économiques de ces formes d’exploitation pour les mineurs.
La majorité d’entre eux a entre 5 et 11 ans. Selon un rapport publié par l’Unicef et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) jeudi 10 juin 2021, 160 millions d’enfants sont forcés de travailler dans le monde. Et ce nombre ne ferait que croître, sous l’effet de la pandémie. Le travail des enfants risque de toucher neuf millions d’enfants supplémentaires d’ici à 2022, voire 46 millions, selon le modèle de simulation de l’Unicef. Les bouleversements économiques en 2020 et 2021 ont poussé des millions d’entre eux à quitter prématurément les bancs de l’école. « Leurs parents ont perdu leurs boulots ou n’arrivaient pas à vendre des biens. Parfois les enfants les ont vu batailler pour acheter de la nourriture. Pour eux, c’était évident qu’ils devaient travailler pour que leurs familles survivent », constate Jo Becker, chargée du droit des enfants à Human Rights Watch.
Entre janvier et mai 2021, des chercheurs d’Ouganda, du Népal et du Ghana ont interrogé plus de quatre-vingts enfants travailleurs pour l’ONG, qui a également publié un rapport dans la foulée. « À cause de l’épidémie, les écoles ont dû fermer. Beaucoup n’avaient alors plus accès au repas gratuit du midi. Et s’ils n’avaient pas d’enseignement à distance, certains se sont dit qu’il valait mieux travailler plutôt que de ne rien faire à la maison. » Selon Jo Becker, les enfants travailleurs sont en grande partie « des enfants pauvres, migrants ou marginalisés » et habitent principalement en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient et en Asie. La majorité d’entre eux travaille dans l’agriculture (70%), dans le secteur des services (20%) et une plus faible partie dans l’industrie (10%).
Inhalation de produits toxiques
« Ils vont vendre de la nourriture dans la rue, tissent des tapis dans les usines, ramassent de l’or dans les mines », dépeint l’humanitaire. Et cela dans des conditions de travail souvent déplorables : « Certains tapent les pierres sur le gravier avec des marteaux dans les carrières. Ils risquent de se prendre des morceaux dans les yeux. De jeunes garçons portent aussi des charges très lourdes sur des chantiers, et ça dix heures par jour », déplore Jo Becker.
Rien de neuf en soi, car les ONG s’en font l’écho depuis longtemps. Déjà en 2013, Human Rights Watcha alertait dans un rapport sur le cas des enfants extracteurs d’or : « [Ils] risquent des blessures du fait d’éboulement de galeries et d’accidents dus aux outils, ainsi que des problèmes de santé à long terme causés par l’exposition au mercure, l’inhalation de poussières et le port de lourds fardeaux. »
Le mélange du mercure avec du minerai, qu’ils brûlent ensuite pour récupérer l’or, est, selon l’ONG, la « méthode la plus simple et la moins chère dont [les travailleurs] disposent. » Or, il s’agit d’« une substance toxique qui s’attaque au système dangereux central », dénonce l’organisation. « Vieillissement précoce, malnutrition, dépression et dépendance aux drogues… »
Les conséquences sont telles que des responsables politiques, comme Dominique Ouattara, Première dame de Côte d’Ivoire et membre du Comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des Enfants (CNS), en ont fait leur cheval de bataille auprès de la presse et des organisations étrangères.
79 millions d’enfants réalisent des travaux dangereux
Selon le rapport publié jeudi 10 juin 2021, la moitié des 160 millions d’enfants exploités réalise quotidiennement des travaux dangereux, définis par l’Unicef comme « un travail susceptible de nuire à leur santé, leur sécurité ou leur développement moral. »
Les deux organisations ont ainsi constaté une augmentation de 6,5 millions d’enfants travaillant dans des conditions dangereuses par rapport à 2016, ce qui représente 79 millions de mineurs dans le monde.
Les petites filles en subissent encore plus les frais : « Quand les écoles ont fermé, certaines ont dû s’occuper de leurs frères et sœurs ou faire le ménage dans les maisons. Elles sont moins payées que les garçons et parfois confrontées à des violences sexuelles », relève Jo Becker. « [Ces violences] sont sources de grossesses précoces et de contraction de maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/Sida », a souligné le réseau d’ONG Plan International en 2019.
Les conséquences les plus graves pour ces enfants sont à long-terme : « Plus ces enfants sont hors du cadre scolaire, moins ils auront de chance d’y retourner. Dans certains cas, même quand les écoles ont rouvert, les enfants continuent de travailler, car leur famille a encore besoin d’eux pour payer la nourriture, les frais scolaires ou les dettes », poursuit-elle.
Marion Libertucci, responsable du plaidoyer pour Unicef France, parle d’un « cercle vicieux de la pauvreté : ces enfants n’auront pas les moyens d’accéder plus tard à des activités qui leur permettent d’avoir des revenus décents. »
« Le travail des enfants n’est pas une répercussion inévitable de la pandémie »
Alors que la pandémie a laissé orphelins des milliers d’enfants, dont une grande partie doivent désormais subvenir aux besoins de leur famille, les ONG implorent les gouvernements de réagir. « Avant le Covid-19, beaucoup avaient fait des progrès sur la question. De 2000 à 2016, le taux d’enfants contraints de travailler avait diminué de 40%, relate Joe Becker. C’était 90 millions d’enfants en moins. » Mais l’arrivée du virus a déclenché en un effet boule de neige : fermeture des écoles, des commerces et ralentissement des économies mondiales. Entraînant des millions d’enfants et de parents dans une situation d’extrême pauvreté. « C’est une pression considérable. Dans certains pays, le nombre d’enfants travailleurs était déjà énorme, comme en Inde. Avec les cas exponentiels de Covid, ce problème va devenir vraiment inquiétant », s’alarme-t-elle.
Pour stopper ce fléau, Human Rights Watch, tout comme l’Unicef et l’OIT, préconisent la mise en place de transferts d’espèces à destination des familles défavorisées. Il s’agit d’apporter un complément de revenu chaque mois aux familles les plus vulnérables. Une étude réalisée en 2020 par la fondation ICI (Initiative internationale sur le cacao), a néanmoins montré que « l’utilisation de ces transferts pour augmenter les revenus des ménages ne se traduit pas automatiquement par une réduction du travail des enfants. »
Les auteurs notent que dans les cas où cela n’a pas fonctionné, ces envois d’argent « étaient trop faibles pour couvrir les frais scolaires. » Dans d’autres cas, « les familles ont investi l’argent dans des fermes ou des entreprises familiales, ce qui a nécessité un soutien supplémentaire de la part des enfants. »
Les trois ONG de défense du droit des enfants préconisent en outre le déploiement de campagnes destinées à attirer de nouveau les enfants à l’école, la mise en place de systèmes de protection sociale, 4 milliards de personnes sont vulnérables aux chocs, selon l’OIT et l’Unicef, le renforcement de l’inspection du travail. Avec en vue l’objectif de l’OIT d’éradiquer d’ici 2025 toutes les formes de travail des enfants.
RFI