La junte militaire souffle le chaud et le froid. Elle alterne le doute et l’espoir. Avec d’un côté, la démolition de la maison de celui qui a donné du fil à retordre au régime renversé par la même junte. Ou l’expulsion d’une autre bête noire du régime déchu. Tout cela sans aucune autre forme de procès. Sans compter que la principale pomme de discorde reste la durée de la transition. Se prononcer sur cette durée semble être une pilule difficile à avaler pour les tombeurs d’Alpha Condé.
Et pourtant, malgré tout ce qu’on pourrait reprocher à ceux qui parlent et agissent au nom de la Guinée depuis le 5 septembre 2021, le président de la transition s’est distingué positivement par rapport à tous ses prédécesseurs. Du moins de Conté à Condé. Faire arrêter et conduire à la Maison centrale de Conakry tous les barons d’un régime aussi puissant que celui d’Alpha Condé relève d’un exploit. C’est une audace voire une témérité. Cela ne pouvait être l’œuvre de n’importe quel homme. Surtout pas un homme politique. Parce qu’un homme politique pèse beaucoup le pour et le contre, les avantages et les inconvénients avant d’agir. Ce qui n’est pas le cas d’un militaire.
Si c’était Lansana Kouyaté qui avait fait arrêter les principaux responsables du régime déchu, les partisans de ces derniers auraient trouvé d’autres raisons plus subjectives pour expliquer et justifier ces arrestations. Si c’était Sidya Touré qui avait agi comme Mamadi Doumbouya l’a fait, on aurait parlé de règlement de comptes. Si c’était Cellou Dalein Diallo, l’opinion publique aurait trouvé que celui qui a fait plus le martyr du régime ces 11 dernières années prend sa revanche. Pire, le débat communautariste aurait pris le dessus sur n’importe quelle décision de justice.
Dans la mesure où, à quelques exceptions près, (comme celui de Fofana et de Guilavogui), la quasi-totalité des infortunés étant tous de la même communauté que Doumbouya, ce dernier coupe l’herbe sous le pied de tous les adeptes du débat ethnico-régional. On ne peut même pas parler de règlement de comptes, puisqu’il n’y a jamais eu d’antagonisme entre l’officier et ceux qui avaient opté pour l’ordre à la place de la loi.
Si de nombreux juristes déplorent le fait que la détention devient la règle au lieu de l’exception dans cette affaire, il faut noter cependant qu’en arrêtant et incarcérant la quasi-totalité de ceux qui, dans la conscience collective étaient des intouchables il y a encore un an, le nouveau pouvoir a incontestablement marqué les esprits. Sans se réjouir du malheur de ces présumés innocents, il faut dire que cette méthode est peut-être la solution miracle contre la délinquance, j’allais dire, le crime économique.
Car si l’autre paire de manche du CNDD reste le crime de sang, entre le soldat qui a tiré à bout portant sur un manifestant et le dignitaire du régime qui a détourné l’argent destiné à la construction d’une école ou d’un hôpital, il n’existe pas beaucoup de différence. On pourrait même dire que si le premier s’est rendu coupable directement de la mort d’un homme, le second a ôté la vie indirectement à des centaines d’autres hommes.
Encore une fois conduire à la Maison centrale de Conakry des hommes comme Ibrahima Kassory Fofana, Louncény Nabé, Ibrahima Kourouma, Albert Damantang Camara, Amadou Damaro Camara pour ne citer que les plus célèbres, ne pouvait être l’œuvre d’un petit homme. Si c’est la fin qui compte pour toute œuvre humaine, Mamady Doumbouya a osé faire ce que ni Lansana Conté ni Moussa Dadis Camara encore moins Alpha Condé n’ont osé faire. Ce dernier, en particulier, avait tous les atouts de son côté dans la meure où il ne s’était jamais mêlé à la gestion du pays. Mais l’homme avait préféré les calculs politiques, ethniques et surtout son fauteuil à la place de la lutte contre les crimes économiques. Ou les crimes tout court.
La tâche de Mamady Doumbouya ne sera pas aisée. Il fait face actuellement à deux fronts : celui de ceux qui ont perdu le pouvoir le 5 septembre 2021. Et celui de ceux qui veut conquérir le même pouvoir. Malgré la légitimité et la nécessité d’un retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections libres, le deuxième groupe doit éviter à tout prix un mariage de raison avec le premier. Même si, le plus souvent, c’est la fin qui justifie les moyens.
Habib Yembering Diallo