Trois semaines après sa prise du pouvoir, le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a rendu publique, le 27 septembre 2021 la Charte de la Transition. Une Charte faisant office La loi fondamentale du pays (Article 84) d’ici le retour à l’ordre constitutionnel.
En droite ligne avec les discours tenus jusque-là par le Colonel Mamady Doumbouya, président du CNRD, la Charte dans l’ensemble tient compte des aspirations du peuple, longtemps et toujours martyrisé par les régimes qui l’ont conduit depuis 1958. On y trouve les principes cardinaux d’un État démocratique, respectueux des droits de l’homme.
Un point à mettre en exergue est le fait que le Président de la Transition (Article 47) prêtera serment devant la Cour Suprême. Une innovation pour les putschistes africains qui nous est venue du Mali que dirige actuellement un autre Colonel, Assimi Goîta, le tombeur d’Ibrahim Boubacar Keita en août 2020. La prestation de serment du président de la Transition l’engagera devant Dieu et le Peuple. D’ailleurs, dans l’une de ses premières sorties le 5 septembre 2021, Colonel Mamady Doumbouya a déclaré que « le Guinéen respecte sa parole ». Vu ses différents discours et gestes porteurs d’espoir tenus depuis ce jour, nous nourrissons l’espoir qu’il respectera sa parole en rendant au terme de la transition le pouvoir aux civils démocratiquement choisis par le peuple et pour le peuple. Certes, dans un délai raisonnable.
Aussi l’article ayant retenu notre attention est celui (Article 60) portant sur la composition du Conseil national de la transition (CNT), notamment sur la diversité de cet organe législatif de la Transition et le quote-part y accordé à certaines entités de la Nation, jadis lésée (les femmes, les jeunes, les personnes vivant avec un handicap et la diaspora). C’est une avancée significative pour notre jeune démocratie. Sur ce, le CNRD, après avoir tenu compte des préoccupations des forces vives de la nation, a joué sa partition. Le reste revient aux structures devant désigner leurs représentants au CNT. Il serait souhaitable que celles-ci respectent les critères de choix définis par la Charte dans son Article 60à savoir : la compétence et la probité. Un sacerdoce excluant combine et copinage. L’avenir du pays en dépend. Car ce sont ces conseillers nationaux qui auront la lourde charge d’élaborer la Constitution et les lois organiques devant régir la Vème République.
Pour le reste du texte tout est classique. Même si certains estiment qu’en interdisant les anciens dignitaires du Régime Alpha Condé de prendre part au CNT, la junte n’a pas respecté sa promesse d’inclusion. Du moins que l’on puisse comprendre, l’ancien parti au pouvoir, le RPG Arc-en-ciel ne fait l’objet d’aucune exclusion. Mais pour une question de principe et d’éthique, il serait incongru de recyclerles cadres ayant cautionné les dérives dictatoriales du Président Alpha Condé. Les empêchant de prendre part aux organes transitoire est une mesure juste allant dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation si nous voulons mettre un terme à l’impunité. Plutôt, il serait mieux pour ces caciques de se repentir et permettre à leur formation politique de se régénérer et mieux affûter les armes pour les prochaines joutes électorales. A cet effet, ils auraient rendu par-là un grand service à la Nation ainsi qu’à leur Champion dont ils sont tous tributaires de la fin triste que connait aujourd’hui ce dernier.
La faille de la charte, si on peut le dire ainsi, est l’imprécision de la durée de la transition. Le CNRD, prenant soin d’avoir un avis consensuel, évite d’imposer aux Guinéens une durée définie au risque de provoquer déjà un clash avec les forces vives dont les conséquences entameront certes le déroulement d’une transition apaisée, inclusive et réussie. Colonel Doumbouya lors de sa rencontre avec les partis politiques le 14 septembre au Palais du peuple a averti que les militaires ne toléreront aucun calcul politique visant à biaiser la transition. « …nous ne tolérerons aucun calendrier, aucun agenda politique individuel dans cette démarche. Nous ne tolérerons aucune exclusion, aucun calcul politique individuel ou partisan. Nous ne tolérerons aucune stratégie partisane » a-t-il fait entendre ce jour-là. Ceux qui ont des agendas personnels au détriment des aspirations du Peuple sont déjà avertis. Ainsi que leurs gourous tapis au sein de la CEDEAO voulant imposer à la Guinée six mois pour un retour à l’ordre constitutionnel. Comme si la crise guinéenne reste d’ordre électoral. Ce qui est de la réalité. Le malaise est profond et multidimensionnel. Mais pas sans solution.
Seulement voilà, pour recoudre le tissu social, refondre l’Etat, inculquer aux citoyens un esprit patriotique doublé d’honnêteté et d’intégrité morale, c’est le temps de panser toutes les plaies du grand malade que constitue notre société. C’est un travail collectif, consensuel mais ferme et sans complaisance. Cette fois-ci, c’est l’occasion ou jamais ! Ce qui ressort que tout délai court nous conduira à l’échec. Ceux qui sont pressés doivent savoir raison garder et saisir l’occasion pour entrer dans l’histoire par la grande porte. « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Pour reprendre cette idée sublime de John F. Kennedy, nous dirons qu’il est temps pour chaque Guinéen de se demander ce qu’il peut faire pour la Guinée et non le contraire.
A cette phase critique de l’histoire du pays, on n’a pas droit à l’erreur. Rédiger les beaux textes est un pas, leur bonne application en est un autre. C’est maintenant que commence le véritable chantier pour bâtir une Guinée nouvelle débarrassée de l’ethnocentrisme, du communautarisme et népotisme, de la démagogie, la corruption, la paresse, etc.
Dans son discours de la prise du pouvoir, Colonel Mamady Doumbouya a manifesté la volonté de briser le système qui tenaille ce pays depuis 63 ans. Or briser le système consiste à créer une nouvelle Guinée tant rêvée par les patriotes épris de paix, de justice, de démocratie et du développement socio-économique. Tout un chantier dont l’exécution exclut complaisance et bricolage. C’est dire que la présente occasion interpelle chaque citoyen guinéen afin de nous éviter le naufrage collectif et doter le pays des institutions solides, gage de démocratie et de prospérité partagée.
En attendant, les regards sont tournés vers la junte qui doit en principe dévoiler la liste de ses membres, la prestation de serment par le président de la Transition, suivie de la nomination d’un premier ministre civil et son gouvernement pour relancer le bon fonctionnement de l’administration publique. Quant à la composition et l’installation du CNT, le risque d’un retard est à craindre quand on connait les divergences, souvent antagonistes, entre les forces vives du pays.
Oumar Kateb Yacine
Consultant-Analyste
Président de l’Institut Afrique Emergente